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  • Photo du rédacteurm.haber

Dégustation au domaine Bannwarth

Nous avons eu le plaisir, en janvier dernier, de passer deux heures au domaine Bannwarth à Obermorschwihr (Haut-Rhin), pour goûter quelques vins. Le village d’Obermorschwihr ne peut pas se targuer d’avoir un grand cru, comme ses voisines Eguisheim (Pfersigberg et Eichberg) ou Voetlingshoffen (Hatschbourg). Cependant on y trouve le splendide Bildstoeckle, un lieu-dit situé au nord du village.

A Obermorschwihr la variété géologique est importante. Sur trois kilomètres à la ronde on trouve trois sols, donc trois terroirs, totalement différents. Sol calcaire sur le Bildstoeckle (au-dessus du village), du lœss sur les parties basses proches de la nationale et entre les deux des sols argilo calcaire (calcaire à 30 %). « Le Bildstoeckle c’est du caillou, pour planter un piquet c’est compliqué, alors que dans la terre grasse du lœss cela ne pose aucun problème. » nous dit Régine qui pilote la dégustation. Les sols calcaires (calcaire oolithique) datent du Bajocien supérieur, le lœss du Pléistocène.


Créé de toutes pièces par Laurent et sa femme Suzanne au début des années cinquante, le domaine est maintenant aux mains de leur fils, Stéphane, de leur fille Régine ainsi que de Geneviève, l’épouse de Stéphane.

Les parcelles sont exposées sud et ouest, sud-est pour le Bildstoeckle. Les vignes du domaine sont travaillées en bio depuis 2004, tout le domaine est en biodynamie. Les certifications sont en place depuis 2012. La densité de plantation se situe entre 4200 pieds (vignes récentes) et 5000 pieds (vignes anciennes) à l’hectare.


Le site de production est toujours localisé au même endroit mais les installations évoluent. Si la première cave date de 1968, les derniers travaux datent de 2021. La nouvelle cave est simplement magnifique !


Pour la construire le vigneron a exploité la roche d’une ancienne carrière située au nord-ouest du village. Les blocs de calcaire ont été utilisés pour édifier le muret bas du stockage des amphores, les cailloux pour combler les intervalles entre les jarres. L’intérêt de ce matériau est bien sûr la régulation de l’humidité et de la température. Les murs principaux ont, quant à eux, été montés avec des blocs de grès des Vosges et le sol recouvert de dalles de la même pierre. Au-delà des aspects techniques et pratiques, on ne peut être que séduit par l’approche esthétique des installations.


Le domaine présente deux gammes de vins. Une première en vinification classique : vins filtrés, légèrement sulfités avec un peu de sucre naturel (20 g de sucre résiduel pour le Gewurztraminer). A la carte on trouve quelques vendanges tardives et sélection de grains nobles à la carte, mais le vigneron n’en produit que rarement. Deux raisons à cela : la rareté des beaux botrytis et le tassement du marché qui se tourne davantage vers les vins secs. La deuxième gamme est constituée par les vins nature vinifiés en sec, dont la série des qvevri. Ces vins ne sont ni filtrés, ni sulfités.

Pour le « Bildstoeckle », Stéphane Bannwarth ne produit pas chaque cépage chaque année. Il faut que le raisin soit de très belle qualité pour qu’il puisse bénéficier de l’indication du lieu-dit, qui n’est précisé lorsque la matière est vraiment représentative.

Les parcelles, souvent voisines et plantées d’un seul cépage, sont récoltées séparément selon le degré de maturité des raisins. Les décalages vont de trois à dix jours selon les années. On ne peut pas mélanger des raisins récoltés à trois jours d’intervalle, en raison du démarrage de la fermentation. La synchronisation n’est pas évidente et les premiers raisins récoltés sont souvent en légère surmaturation pour laisser le temps nécessaire aux suivants d’arriver à une maturité suffisante.


Les Qvevri


Le domaine Bannwarth utilise des Qvevri depuis une dizaine d’années. Le Qvevri est une jarre en terre cuite, originaire de Géorgie. Il a la forme d’une amphore et ne comporte pas de poignées. Il est souvent enterré et seule la partie supérieure émerge hors du sol. Il est utilisé pour la fermentation des moûts et pour le stockage du vin. Son utilisation est ancienne puisque qu’en Géorgie il a été retrouvé des traces de vinification en Qvevri datées d’environ 8000 ans.

Toute la récolte ne passe pas en Qvevri, Stéphane Bannwarth sélectionne les raisins dont la structure est adaptée à ce contenant. La matière de départ doit être bien équilibrée pour pouvoir s’exprimer dans la jarre, car celle-ci n’enrichit pas le vin. Le raisin, issu de différentes parcelles, doit se suffire à soi-même. Les vins produits en jarre ne sont pas assemblés à d’autres issus de foudres en bois. Ils passent directement de la jarre à la bouteille.

Les temps d’élevage sont souvent de plusieurs années.


« Avec les longues macérations, on extrait toutes les caractéristiques du raisin, particulièrement celle ces acidités. La jarre n’apporte rien mais elle permet d’exprimer les arômes du raisin. D’où l’intérêt d’avoir des raisins de qualité avec des maturités abouties» nous dit Régine.



Tri positif et tri négatif pendant la vendange


Régine nous parle de tri positif et de tri négatif. L’idée directrice est de ne récolter que ce que l’on veut utiliser.

Le tri positif : on ne prend que les raisins que l’on veut vinifier, par exemple pour remplir une jarre. C’est une sélection lors du premier passage de la vendange, destinée à une vinification particulière.

Le tri négatif : on enlève du raisin sur pieds lors de la vendange pour ne laisser que les raisins avec la maturité attendue. Par exemple on peut enlever des raisins botrytisés pour ne laisser que les raisins sans botrytis, l’objectif étant d’obtenir un vin sec. Les raisins botrytisés prélevés par tri négatif seront vinifiés à part et donneront une cuvée particulière.

A partir des consignes données par le vigneron, les vendanges sont plus précises mais aussi plus compliquées. Lors de la vendange destinée aux jarres chaque vendangeur a deux seaux et trie les raisins. Cela demande plus de temps et de concentration.


La dégustation


N’étant pas fanatiques des dégustations – marathon, nous avons décidé de ne goûter que des vins issus du lieu-dit « Bildstoeckle » ou réalisés en qvevri. Adeptes de la dégustation géo-sensorielle, nous nous concentrés sur la recherche des marqueurs du terroir, à travers l’observation de la salivation, de la texture, de la forme, du volume, du grain et du toucher de bouche. Nous avons choisi les cinq vins suivants :


- Riesling Cœur de Bild 2013 (pur Bildstoeckle)

« Tri positif des raisins sur une année pourrie mais donnant des vins extraordinaires. Peu de tri et quasiment pas de vin en jarre tellement les raisins se délitaient. »

Une bouche qui évoque la pomme Granny Smith avec un léger pétillement, caractéristique d’un vin nature. La salivation est accueillante, importante, en vagues qui tapissent l’avant du palais. Le grain est très fin et on perçoit une belle salinité en fin de bouche. A notre sens un bel accord se ferait avec une assiette marine ou des huîtres. Ce vin est gourmand et affiche une belle jeunesse qui nous bluffe car il semble n’avoir que trois ou quatre ans.


- Triptik est réalisé par un assemblage de riesling, pinot gris, gewurztraminer sur trois années (2016, 2017 et 2018).

Le nez raconte un bouquet de roses anciennes. En bouche on perçoit une légère oxydation et belle finesse sur des amers fondus. La texture évoque la craie asséchante avec un grain très fin qui fait penser à la pierre à eau. La forme en bouche est triangulaire, avec une base large qui va en s’évasant. L’image mentale est automnale, dans des teins brun-orangé, et évoque une chaleur douce. On retrouve aisément la touche calcaire. La fin de bouche est marquée par une touche de bergamote, de nashi, avec une pointe de noix en fin. Pour nous, le mariage avec une volaille va de soi.


- Le Pinot noir Bildstoeckle 2016 est issu d’une seule parcelle avec « des raisins qui présentaient un léger flétrissement permettant de concentrer le fruit, mais sans botrytis. La mise en bouteille date de 2020, ce temps en bouteille a été nécessaire pour assouplir les tanins. » Après le tri, les raisins sont foulés au pied. Les remontages se font d’une à deux fois par jour. La durée de macération, courte pour ce millésime, varie habituellement de 8 à 20 jours. En bouche on retrouve la même texture et la même finesse de grain que pour les vins précédents. Belle salivation enveloppante plus importante sur l’avant de la bouche. On y retrouve la réglisse, la quetsche ainsi qu’une touche de framboise et de mûre. Le toucher est soyeux, sans doute grâce à l’élevage. Le vin appelle un accord sur un fromage puissant type Chaource bien crémeux ou Livarot, voire une Boulette d’Avesnes.


- Synergie (Qvevri)est un assemblage de riesling, de pinot gris et de gewurztraminer à parts égales dans la jarre, avec une macération courte (pour utiliser le terme Qvevri, la règlementation impose un mois de macération au minimum. Cela peut aller jusqu’à 7 ou 8 mois). La difficulté est de trouver trois parcelles dont les raisins soient mûrs en même temps. Ceci est possible grâce à la variété des sols et des expositions qui permet un subtil jeu d’assemblage. La bouteille est ouverte depuis un mois… et le vin est carrément bluffant, ce qui en dit long sur sa stabilité. A l’ouverture le carafage est préconisé mais une ouverture longue lui confère davantage de rondeur. En bouche la forme est d’abord horizontale puis le vin s’étire vers le haut. Le grain est fin. On trouve de l’abricot, de l’amande, de la noisette torréfiée.



- Riesling 2012 (Qvevri). La sélection peut être parcellaire ou issue d’un assemblage de parcelles. Le riesling est compliqué à produire en jarre en raison des acidités qui restent trop vives. Pour cette raison le domaine n’en réalise pas chaque année. La texture est somptueuse, ample et large. Le grain est fin avec un surplus d’épaisseur. En bouche on est happé par des notes de sauge, d’estragon, de coriandre et de pâté de foie… L’accord sur une volaille s’impose à nous.


Nous quittons le domaine, ravis par les vins, l’accueil et le lieu. Nous y retournerons sans doute. Pour terminer, nous avons souhaité reproduire cette phrase que l’on retrouve sur les étiquettes et qui résume bien l’approche du vigneron : « De la terre au raisin, du raisin au vin, simplement, sans artifice, en conscience de notre modestie, dans le mouvement de la vie et de la nature. »


Michel Haber




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