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Journée pédologique à Gueberschwihr, dans le Grand Cru Goldert

Le samedi 12 avril nous sommes allés à Gueberschwihr (68) pour notre deuxième journée pédologique. C’est Francis Burn (Domaine Ernest Burn) qui nous a reçus et nous a guidés dans ses vignes du Clos St-Imer, monopole de la famille Burn, où il avait préparé deux fosses pédologiques. Le Clos St-Imer, autrefois propriété de l’évêque de Strasbourg, est situé au cœur du Grand Cru Goldert. La balade à pied fut magnifique, ensoleillée, riche en surprises et découvertes. Les échanges avec le vigneron furent riches et passionnés, à l’image d’un homme qui aime sa vigne et son métier, prêt à défendre ses valeurs et ses vins.

Les terrasses et les vignes du Grand Cru Goldert
Les terrasses et les vignes du Grand Cru Goldert
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Le long du chemin menant au Grand Cru Goldert, nous avons pu observer la floraison de diverses plantes : tulipes sauvages, ornithogale, muscari, alysse, lierre terrestre ou encore orobanche, au milieu des vignes qui ouvrent leurs premiers bourgeons.


Tulipe sauvage (Tulipa sylvestris)
Tulipe sauvage (Tulipa sylvestris)


Ornithogale (Ornithogalum umbellatum)
Ornithogale (Ornithogalum umbellatum)


Alysse (Aurinia saxatilis)
Alysse (Aurinia saxatilis)


Lierre terrestre (Glechoma hederacea)
Lierre terrestre (Glechoma hederacea)


Orobanche (Orobanche lutea)
Orobanche (Orobanche lutea)


La vigne démarre tranquillement...
La vigne démarre tranquillement...

Le Grand Cru Goldert est localisé à Gueberschwihr. Il tire son nom de la couleur du vin qui est jaune doré soutenu. Exposé Est et Sud-Est, le Grand Cru se développe sur 45 hectares, de 230 à 330 mètres d’altitude. Cette orientation le préserve des fortes chaleurs estivales et favorise une maturation lente des baies. Il est classé dans la famille des terroirs calcaro-marneux.

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Les pentes sont très raides dans le Grand Cru (50 à 60 % dans la partie supérieure), tellement raides que la mécanisation y est impossible et que tout le travail se fait à la main. Lors des vendanges il faut être ici autant concentré sur le choix des grappes que sur sa stabilité verticale personnelle. 

Le cépage majoritaire est le Gewürtztraminer (60%).

La famille Burn s’est investie dans l’entretien et la reconstruction des murets de soutènement qui ont permis la création de terrasses. Ces murets sont montés en grès (grès à Voltzia (Bundsanstein supérieur, conglomérat principal et poudingue) et calcaire. Leur origine est évidemment locale comme le montre la carte géologique ci-après. Quelques pierriers restent visibles par endroits, témoins d’une occupation agricole ancienne.

Pierrier (Steinrudel)
Pierrier (Steinrudel)

Dans l’un des murets, les Burn ont créé une niche pour abriter un buste du Christ, vestige d’un calvaire. Le vigneron y a ajouté des fossiles (gryphées, rostres de bélemnite… ) qui témoignent de la formation du calcaire au cours du Jurassique et quelques clins d’œil marins anachroniques (étoile de mer, éponge…) qui peuvent certes laisser le promeneur perplexe, mais témoignent d’un esprit espiègle et facétieux à l’occasion.

Une riche riche de surprises...
Une riche riche de surprises...

Fossiles de gryphées, un ancêtre de l'huitre, caractéristique du Sinémurien (premier étage du Jurassique) en Alsace.
Fossiles de gryphées, un ancêtre de l'huitre, caractéristique du Sinémurien (premier étage du Jurassique) en Alsace.

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La carte géologique nous précise la localisation des roches du sous-sol et explique la présence dans les murets du grès et du calcaire, ainsi que des fossiles :

 

-       J1c : calcaire Grande Oolithe du Bajocien (Jurassique)

-       t1c : grès du Buntsanstein (Trias)

-       t4 : grès du Ladinien (Trias)

Carte géologique (www.brgm.fr)
Carte géologique (www.brgm.fr)

Deux fosses pédologiques


Fosses n°1

La parcelle, acquise récemment, n’était pas plantée depuis une dizaine d’années.

La fosse montre la présence de lœss et le sol a une touche limoneuse visible. Les cailloux sont en calcaire oolithique. Les trous sont dus à l’érosion.

Calcaire oolitithique
Calcaire oolitithique

Le lœss est un dépôt d’origine éolienne (déposé par le vent) provenant ici de l’ouest et dépendant de la topographie. Les placages de lœss peuvent être très localisés et se trouvent souvent sur des pentes exposées à l’inverse de l’origine du vent, donc ici à l’est.

La présence du lœss n’est pas forcément visible en surface et il faut souvent creuser une fosse pour la mettre en évidence. Nous sommes en présence d’une poche de lœss (calcaire) révélée par le creusement (lorsque le lœss se trouve sous un sol acide, cela peut être problématique si le vigneron n’a pas choisi le porte-greffe adapté à la présence du calcaire).

Dominique Schwartz à l'oeuvre dans la fosse...
Dominique Schwartz à l'oeuvre dans la fosse...

Fosse n°2

La parcelle a été arrachée il y a trois ans et est en repos.

Le sol présente un ensemble homogène, avec des galeries verticales de vers de terre jusqu’à 1 mètre de profondeur (avec dépôts de matière organique et excréments de vers). Les racines sont visibles. La structure du sol est relativement fine et comporte beaucoup d’agrégats très fins d’origine biologique (activité des vers de terre). Les galeries de racines sont souvent réutilisées par les vers.

Ne rencontrant pas d’obstacles à la pénétration, les racines peuvent descendre en profondeur et trouver la ressource hydrique en cas de besoin (déficit de précipitations). Cette pénétration favorise l’expression du terroir par la vigne.

La forte réaction à l’acide chlorhydrique (effervescence) confirme la présence du calcaire en grande abondance.

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Nous sommes en présence d’un colluviosol calcaire : la terre en amont a été déplacée par l’érosion.

Les colluviosols sont des sols issus de colluvions, matériaux arrachés au sol en haut d’un versant puis transportés par le ruissellement de l’eau ou par éboulement pour être déposés plus en aval, en bas de pente. Il s’agit donc de dépôts comportant le plus souvent des éléments grossiers (graviers, cailloux, pierres…), charbons de bois, débris végétaux ou autres. L’épaisseur des colluviosols est supérieure à 50 cm. Les colluviosols sont donc le plus souvent observés dans les fonds de vallons, au pied de talus ou encore à la faveur des replats en milieu de pente.

La touche limoneuse est ici plus diffuse que dans la première fosse. Le colluvionnement est postérieur aux dépôts de lœss formés au cours du quaternaire (il y a 20 000 ans environ).


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Une très belle dégustation


Francis Burn (à gauche) et une partie du groupe
Francis Burn (à gauche) et une partie du groupe

De retour dans le caveau du domaine, Francis Burn nous propose une dégustation de vins issus du Clos St-Imer, un monopole dans le Grand Cru Goldert, de manière à établir le lien entre les fosses étudiées le matin et les vins proposés. Tous les vins proviennent de récoltes parcellaires, seul le Sylvaner, premier cru de la dégustation, proviendra de vignes différentes.

Francis Burn développe son crédo en quelques phrases : « Notre terroir est favorable à la maturation des grains de raisin aboutissant à des teneurs élevées en sucre »… « Si moi j’aime, alors il y a sans doute d’autres personnes qui aiment ». On sent un homme qui connaît ses vignes et ses vins, qui n’hésite pas à ramer contre les courants dominants. Il revendique ne pas vouloir suivre la mode des vins secs et ne produit pas de vins orange ou nature.

Ses arguments sont convaincants et ses vins juste sublimes.

Toutes les cuvées dégustées ont des teneurs en sucre permettant de les classer en vins moelleux. Les cépages qui ont fait la réputation du Grand Cru Goldert sont le Muscat et le Gewürtztraminer. Le vigneron a choisi de laisser parler le terroir, qui, localement s’exprime ainsi naturellement. La vendange en est plus tardive, avec tous les aléas que cela peut engendrer, tant du point de vue météorologique que du risque d’arrivée des étourneaux friands de baies mûres. Les sensations procurées par le vin sont forcément différentes en raison de la grande maturité des raisins. « Quand les autres ont fini nous on commence, quinze jours plus tard, vers le 5 novembre, voire le 15 ».

Ceci fait écho au débat, maintenant obsolète, sur la tentative de classification des Riesling alsaciens en vins blancs secs, avec une limitation du sucre résiduel. La volonté d’unification et de création d’un standard s’opposait aux différences liées au terroir. Heureusement cette idée a fait long feu. Dans plusieurs villages alsaciens il est de tradition de produire des vins blancs moelleux (sans parler des vendanges tardives qui sont classées en vins liquoreux). Le domaine Burn fait partie de ces exceptions et la qualité des vins le démontre aisément.

Francis Burn a fait le choix des bouteilles en verre transparent et nous l’explique : « Enfant mon père m’avait emmené dans le Sauternais. J’ai été impressionné par la couleur du vin. En le voyant, j’ai cru que c’était de l’or ».

 

Sylvaner « Le Dauphin » 2022. Le vin est produit à partir de raisins récoltés dans de vieilles vignes. Le sucre résiduel du Sylvaner est d’environ 35g/litre, et c’est surprenant car on ne s’attend pas à cette caresse dans le palais, où le fruité se développe avec élégance dans un bel équilibre. On est loin du petit vin de soif !

Riesling La Chapelle, Clos St-Imer, Grand Cru Goldert 2017. Quelle élégance ! Le fruit est présent et on en oublie presque le sucre, tant l’équilibre entre les saveurs semble aller de soi. La longueur en bouche est impressionnante et le sucre ne sature pas les papilles. La fin de bouche est saline.


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Riesling La Chapelle, Clos St-Imer, Grand Cru Goldert 2015. Francis Burn ne tarit pas en nous servant cette perle. « C’est la dernière année chaude harmonieuse, nous n’avons pas eu trop de récolte mais tout y est. Juste l’orage quand il fallait, pas de pourriture, beaucoup de soleil. Je l’ai dédié à mon père car c’est un vin qu’il aurait aimé faire, il n’a jamais pu le faire, c’était son rêve. Il a réussi à faire des grands Gewürtztraminers et des grands Muscats mais des Rieslings jamais. Parce que c’étaient des conditions idéales et avant la vigne était trop jeune. Toujours 35 g de sucre résiduel, 13,5 degrés d’alcool. L’équilibre sucre alcool est subtil. Mais il est important de stopper la fermentation pour ne pas perdre les arômes. Un grand vin commence par le sucre et se termine par la sapidité. Le soleil a fait mûrir le raisin et a dégradé l’acide malique. » Tout est dit, ce riesling est exceptionnel de fraîcheur et de douceur, malgré ses dix ans. Une grande bouteille qui a encore de l’avenir devant elle.

Muscat La Chapelle, Clos St-Imer, Grand Cru Goldert 2020. Le fruit est ici merveilleux et très expressif. On a l’impression de croquer du raisin bien mûr. Au nez on trouve des notes de pomme, de poire, de fleurs, d’amande et de fruits secs. C’est un festival en bouche qu’on imagine facilement avec une assiette de fromages. (idée à suivre…)


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Pinot Gris La Chapelle, Clos St-Imer, Grand Cru Goldert 2020. Belle robe d’un jaune soutenu. Encore un condensé de parfums et de douceurs. Tout se fond dans un bouquet somptueux et une caresse pour le palais. Voilà un vin de dégustation et d’émotions.

Gewürtztraminer La Chapelle, Clos St-Imer, Grand Cru Goldert 2020. Quelle robe, quel nez, quelle bouche ! On oscille entre le raisin et les fruits confits. La maturité du raisin est indispensable pour obtenir ce résultat hors du commun. Voilà un vin qui épousera avec bonheur des plats exotiques aux saveurs complexes. Le voyage commence dans le verre…

Pinot Noir Clos St-Imer, 2020. La teneur en sucre est naturellement très faible, car la vinification en rouge est complexe. L’élevage est fait en foudres et l’empreinte boisée est légère. Le vin est riche au nez, avec des arômes de fruits rouges (cerise) et des tanins fondus bien enrobés. Voilà un vin équilibré qui a de l’avenir mais peut aussi être dégusté actuellement.

En conclusion, la découverte du terroir fut très intéressante et nous avons rencontré un vigneron passionné et intéressant, connaissant ses vignes sur le bout des doigts. Les vins que nous avons dégustés portent tous une double empreinte : celle du terroir et celle du vigneron qui non seulement laisse le vin raconter le sol mais lui donne une âme généreuse et précise par la vinification. Tous les vins, hormis le Pinot Noir, ont des taux de sucre résiduel élevé, permettant de les classer en vins moelleux. Ils racontent merveilleusement la maturité des grappes. C’est inhabituel pour certains mais toujours très bien abouti, sans fin de bouche sirupeuse. Le toucher de bouche, horizontal et large, est toujours révélateur des sols calcaires. Le grain est fin et soyeux. La finale est sapide et prolonge le plaisir en élargissant la gamme des sensations.

Michel Haber

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