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Rencontre avec Lucas Rieffel

Photo du rédacteur: m.haberm.haber

Nous avons rencontré Lucas Rieffel, vigneron à Mittelbergheim, en Alsace (67) : un beau moment, une dégustation simple de vins de terroir somptueux, une belle rencontre.


Vigneron du terroir

Le domaine de Lucas Rieffel couvre une dizaine d’hectares nichés à flanc de coteaux, sur les communes de Mittelbergheim, Barr et Andlau. Une partie de ses vignes est classée en Grand Cru : Zotzenberg (Mittelbergheim), Kirchberg (Barr) et Wiebelsberg (Andlau), mais c’est avant tout un passionné des terroirs qu’il travaille.

Après avoir d’abord repris le travail à la charrue en 2008, il a drastiquement réduit ses traitements au début des années 2000, pour enfin passer en bio avec une certification depuis 2012. Le respect de l’environnement est placé au cœur de son activité.

Il produit des vins nature mais ne le revendique pas systématiquement. Pour lui, la démarche s’est imposée naturellement.

Lucas Rieffel revendique son métier et son terroir. Cette posture est annoncée sur sa façade : Rieffel vigneron, les vins de terroir.

D’emblée, le ton est donné : la proposition s’organise autour de l’identité du vin, et cette identité passe par le message du sol et du sous-sol. Le cépage n’est pas mis en avant, comme c’est souvent le cas en Alsace. Même s’il reste bien présent, c’est sans prééminence. La vigne est l’une des voix du sol, en harmonie avec le travail de l’homme dont l’objectif est de la révéler, de la rendre intelligible et accessible.

Lucas Rieffel,

La vigne et la terre

Avant de commencer la dégustation, Lucas nous invite à faire un tour dans les vignes. C’est à pied que l’on prend conscience de la pente (ça grimpe un peu), qu’on sent le vent (il fait encore frisquet début mars), le soleil sur la peau, et qu’on peut toucher le sol de la main. C’est aussi un moment privilégié pour se situer dans le paysage : A l’est la plaine rhénane et le massif allemand de la Forêt Noire en toile de fond, à l’ouest le début du massif vosgien à moins de deux kilomètres où l’on distingue les deux tours du château d’Andlau. En contrebas, les maisons agglutinées du village.

Le Zotzenberg au premier plan, au fond le château d'Andlau.
Un paysage tout en douceur, Zotzenberg au premier plan, au fond le château d'Andlau

En remontant on longe le lieu-dit Kreuzel (la Petite Croix) et en arrivant en haut de la colline, on s’offre une vue plongeante sur le village voisin de Barr surmonté par le Kirchberg (Grand Cru). En haut du coteau on sent la froideur du vent du nord.


Kreuzel
Barr et le Grand Cru Kirchberg

En redescendant vers le village on comprend mieux l’effet barrière que joue la colline. On comprend aussi pourquoi Lucas nous parle d’un lieu solaire.

Le Zotzenberg s’étale sur notre droite et en-dessous, touchant le village, le leu-dit Runz (le Ruisseau). « Tout à l’heure, on goûtera Runz et Kreuzel. Les deux parcelles sont séparées de quatre cents mètres seulement et pourtant les vins n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Vous verrez, c’est vraiment très parlant ». Lucas est concis, mais ses mots font écho en nous.


Runz

Il nous montre au passage une parcelle qu’il va replanter et nous explique avec simplicité qu’il conserve volontairement les vieux pêchers qui y sont installés : « Je ne vais tout de même pas les arracher juste pour pouvoir mieux passer avec mon tracteur ! On plantera un peu plus large pour que toutes les plantes aient de la place». Plus loin, il nous fait remarquer les premières feuilles des tulipes sauvages (Tulipa Sylvestris) qui sortent du sol. « L’espèce est protégée et le labour favorise la dispersion des bulbilles. » nous dit-il.

Lucas est proche de sa terre, il la connaît et la respecte. La vigne tisse un lien étroit avec son environnement et il gère ses parcelles en respectant les équilibres naturels.

Tulipia Sylvestris

La dégustation

De retour au caveau, Lucas nous propose une dégustation de ses productions. Il est intarissable et on perçoit facilement derrière les mots, l’homme passionné par son métier et ses vins. Nous avons choisi de limiter la présentation à six vins, bien que nous en ayons goûté davantage, certains ayant même été tirés directement du tonneau. C’est avec un coup de projecteur sur deux Crémants, deux Pinots Noirs issus de deux lieux-dits et deux Zotzenberg Grand Cru que nous tenterons de vous ébaucher ce paysage gustatif.


Deux Crémants

Crémant 2018 : assemblage d’Auxerrois (majoritaire), de Pinot Gris, de Riesling et de Chardonnay (5 à 10%). Une première fermentation est faite d’abord en gros foudres sur lies totales. La mise en bouteille a lieu au mois de mai au bout de neuf mois. Ensuite suit une filtration, l’adjonction de levures et enfin le dégorgement après dix-huit mois. A l’ouverture, ce crémant a conservé trois grammes de sucre résiduel (aucun sucre n’a été ajouté). La bulle est fine et élégante. Aucune agressivité n’est perçue en bouche et la finale est délicatement épicée. C’est superbe ! Une belle bouteille qui se débouche facilement, il suffit de trouver le prétexte…


Crémant rosé Mister Pink

Mister Pink Crémant rosé 2018 : Ce Crémant est produit à 100 % à partir de Pinot Noir en raisins entiers. Le sucre résiduel se situe entre entre 5 et 7 g. La robe est rose pâle, la bulle est fine et légère, le fruité est fin et gourmand, sans excès aromatique, la fin de bouche est teintée de graphite, agréablement serrée avec une pointe de mâche. Voilà un Crémant rosé facile d’accès, extrêmement séducteur.

Lucas ne produit pas ce Crémant rosé chaque année, mais il y en aura aussi en 2019. Pour l’heure il s’annonce légèrement plus sec, nous sommes déjà impatients de le découvrir.


Deux Pinots Noirs

Les Pinots noirs représentent environ 20% de la production du domaine. Nous en avons goûté deux, issus de deux parcelles différentes.


Pinot Noir Runz 2019 : La parcelle de Runz (Ruisseau) est située en bas de coteau, en-dessous du Zotzenberg, exposée nord-est en bordure de village. Le terroir est argilo-calcaire avec une pointe de grès. Le sol est profond, amenant une bonne hydratation, la dénomination du lieu est évocatrice en soi. Lucas la récolte et la vinifie à part depuis 2004. L’ensemble est formé de deux parties : une vieille vigne de plus de 50 ans (dont il ignore l’origine des pieds) et une autre plus jeune (8 ans) plantée en sélection massale du Clos des Epenots (Pommard 1er Cru). La récolte est réalisée en raisins entiers triés. La macération se fait également en raisins entiers et dure plus ou moins 15 jours. Le vigneron nous brosse sa vinification en quelques mots : « Ce n’est pas chauffé, pas refroidi, pas pigé, on fait juste quelques remontages pour mouiller le chapeau, mais le moins possible. Ensuite c’est pressé puis mis en vieilles barriques pour un élevage d’un peu plus d’un an. Le vin n’est pas collé, pas filtré. On ajoute juste 1 g de soufre par hectolitre à la mise en bouteille, autant dire qu’il n’y a quasiment rien ! »


Pinot noir lieu-dit Runz

Le bouquet est splendide. C’est élégant et fin, la bouche est salivante et longue. On croque du raisin et la matière est savoureuse. Le vin déclenche une salivation abondante. Il s’étale horizontalement en gardant de l’épaisseur, occupant la bouche avec générosité. L’argile lui confère de la profondeur et une touche de gras, le calcaire davantage de largeur en bouche. Le grès apporte la finesse du grain et une touche d’élégance, un petit « twist » de vivacité. C’est un vin qui est encore jeune et qui peut être dégusté actuellement. Cependant il se réalisera pleinement d’ici 4 à 5 ans.


Pinot noir Kreuzel 2019 : Kreuzel (Petite Croix) est un lieu-dit qui correspond à une parcelle de vigne. Les plants sont âgés de 15 ans, à 80% en sélection massale du Clos des Epenots (Pommard 1er Cru). La parcelle est située en haut de coteau, à côté du Zotzenberg, et est exposée au sud. Le sol, lourd et dense, est constitué de marnes calcaires. Lorsque Lucas en parle, il dit «…on pourrait en faire de la poterie…» La taille se fait à une baguette au lieu des deux habituelles dans le vignoble. Ce n’est pas le rendement élevé qui est recherché, mais plutôt la concentration dans la maturité. La récolte et la vinification sont rigoureusement les mêmes que pour le Pinot Noir Runz. La bouche est encore un peu asséchante avec de discrètes notes cendrées. Ce vin a un côté lumière tamisée et une grande profondeur. Il faudra encore attendre un petit peu (au moins 5 ans) pour qu’il nous révèle l’étendue de son jeu et développe pleinement tous ses atouts. Celui qui saura l’attendre davantage, peut-être jusqu’à 8 ans ou davantage, se réservera sans doute une très belle surprise. Kreuzel s’annonce déjà comme un grand vin.


Pinot Noir lieu-dit Kreuzel

Les deux parcelles (Runz et Kreuzel) sont distantes de 400 mètres. En-dehors des sols, les seules différences se situent dans le végétal : l’âge des vignes et des nuances dans une partie des plants. Les raisins ont été récoltés à 5 jours d’intervalle, Kreuzel étant légèrement plus précoce en raison d’un terroir plus solaire. Les deux vins ont été vinifiés dans la même cave, rigoureusement dans les mêmes conditions (afin que la vinification n’induise pas de différences et pour souligner « l’effet terroir »). Un gramme de soufre par hectolitre est ajouté à la mise en bouteille pour éviter la souris. L’élevage est rigoureusement le même mais le résultat à l’arrivée est radicalement différent. Ces deux vins illustrent parfaitement l’importance primordiale que revêt le terroir lorsqu’on le laisse s’exprimer. Le message du vin n’est pas le même, chacun nous raconte une autre terre.


Deux Zotzenberg

Riesling Grand Cru Zotzenberg 2019 (tiré du tonneau) : Le classement en Grand Cru date de 1992. L'origine de la dénomination est incertaine et controversée. Le sens le plus vraisemblable s'articulerait autour de "la colline sous la montagne". Occupant 36,45 ha, l’aire du Grand Cru est orientée à l’est et au sud, protégé de ce fait du vent du nord. La colline du Zotzenberg domine le village et culmine à 320 mètres d’altitude. Le massif vosgien, proche, protège des vents dominants (ouest) et retient les pluies. Le sol est marno-calcaire (marnes et calcaires du Jurassique ainsi que marnes et conglomérats calcaires de l’Oligocène) ce qui lui confère une bonne rétention de l’humidité et un apport en eau suffisant pour la vigne, qui, de ce fait, n’est pas en situation de stress hydrique.

Ce Riesling est produit en vin nature. Après un premier séjour en cuve inox il passe en barriques, toujours sur lies totales. La mise en bouteilles sera sans doute faite au printemps, mais Lucas n’écarte pas une date plus tardive en fonction de l’évolution du vin.


Du tonneau à la carafe

En bouche, le vin a une touche légèrement oxydative. La fin de bouche est légèrement fermentaire, mais le vin va encore évoluer. Les notes aromatiques sont couronnées par l’ananas frais, ce qui nous suggère une jolie piste sur un accord avec un plat de cuisine thaï. On sent que ce vin a un fort potentiel. Le terroir est sous tension et s’exprime avec une forme de nervosité dans le vin. Les amers sont marqués par beaucoup de finesse et de délicatesse. Ils sont relancés par la touche d’acidité et composent une fin de bouche explosive, même si le vin a déjà affirmé son caractère d’entrée de jeu.


Sylvaner Grand Cru Zotzenberg 2019 : Ce sylvaner est une exception dans le monde des Grands Crus alsaciens où seuls les cépages Riesling, Gewürtztraminer, Pinot Gris et Muscat sont autorisés. Dans le Zotzenberg, le Sylvaner a conquis ses lettres de noblesse depuis le 18ème siècle même si la première mention du cru remonte à 1364. C’est ce cépage qui a fait la réputation de l’endroit, les autres le rejoignant plus tardivement. Cette antériorité et la qualité des productions, liées à la ténacité des vignerons, sont les éléments essentiels à l’origine de ce classement. Depuis 2005, ce cépage est entré, avec raison, dans le cercle convoité des Grands Crus. Son rendement est limité à 55 ho par hectare. Le Sylvaner occupe actuellement 13,86 ha de l’aire classée en Grand Cru. Les autres cépages se répartissent globalement comme suit : Pinot Gris > 6 hectares, Riesling > 7 hectares, Gewürztraminer > 7 hectares.

La parcelle de Lucas couvre 12 ares et est constituée de très vieux plants. Les pieds les plus jeunes ont cinquante ans, les plus anciens plus de soixante ans. C’est planté serré, la densité atteignant 6000 à 7000 pieds par hectare.


D'abord le terroir...

...pour le cépage il faut tourner la bouteille et lire la contre-étiquette. C'est l'artiste Marion Le Pellec qui réalise les illustrations, à la manière de certaines estampes chinoises.

Habituellement le cépage Sylvaner est un peu délaissé et considéré comme produisant de petits vins de soif. Mais ici, on est frappé d’emblée par la grande finesse et le corps exceptionnel. Une fois de plus c’est le terroir qui parle, et le Sylvaner le sert à merveille. En bouche on perçoit la profondeur et l’épaisseur de l’argile, la tension horizontale du calcaire. Le Sylvaner, à notre sens, fait davantage ressortir la salinité et les amers que le Riesling. Les aromatiques sont marqués par de légères notes de pomme et de poire mûre. C’est sublime ! Voilà un vin qui traversera les années sans trop de difficulté, on peut lui prédire une garde longue, pour qui résistera à la tentation.


L'âme du vigneron

Lucas ne veut surtout pas étendre sa surface exploitée, pour conserver l’âme et l’activité de son métier de vigneron. Il ne souhaite pas créer de site de vente en ligne car il préfère rencontrer directement les amateurs de bons vins. On trouve ses bouteilles chez les bons cavistes et sur les belles tables.

Les rendements de ses vignes tournent autour de 50 hectolitres à l’hectare, souvent moins selon les parcelles, mais en tout état de cause pas davantage. Ses cuvées lui donnent en général autour de 3000 à 4000 bouteilles.

Il vinifie en nature depuis 2004. Effectuant encore une partie de ses mises en bouteilles, surtout les magnums, avec une chèvre à deux becs pour ne pas malmener les vins, il a cependant investi dans une pompe à petit débit, spécialement conçue pour ne pas secouer et dénaturer les cuvées.

Il parle de ses vins simplement, sans ostentation. On sent la passion derrière les mots, la maîtrise du métier et son discours est teinté d’humilité «…rien n’est jamais écrit d’avance, nous rencontrons de belles surprises… ».

S'il fallait résumer ce bel après-midi en quelques mots, nous parlerions bien sûr du lien au terroir, de la qualité du travail et des vins dégustés, mais aussi de la chaleur de l'accueil, de l'essence d'une belle rencontre, de ce fil indescriptible et complice qui relie ceux qui ont partagé de jolis flacons. Que l'homme et le vigneron soient ici remerciés.

Nous retournerons chez Lucas dans quelques mois, lorsqu’il aura mis en bouteilles un Crémant d’exception qu’il ne produit pas chaque année. Pour l’heure il n’est disponible, ni à la dégustation, ni à la vente. Lucas a baptisé ces bouteilles rares « L’Emprise », un assemblage de Chardonnay et de Pinot Gris Grand Cru Kirchberg de Barr. Celui-ci est élevé patiemment depuis cinq ans. Nous le goûterons et vous en parlerons alors avec davantage de détails.


Michel Haber


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